Comme une main de cadavre soudain douée de vie, Boulevard de la mort est un morceau de film qui s'est affranchi de son maître. A l'origine, ce n'était qu'un segment de Grindhouse, un film que Quentin Tarantino et Robert Rodriguez avaient façonné sur le modèle d'une séance dans un cinéma populaire (grindhouse en argot américain) des années 1970. Au menu, deux longs métrages (celui de Rodriguez est intitulé Planet Terror), avec des bandes-annonces projetées sur une pellicule rayée, dont les couleurs sont mal étalonnées.
Aux Etats-Unis, cet hommage affectueux à la série Z a été un échec. Tarantino a donc traversé l'Atlantique avec une nouvelle version de son segment, plus longue d'une petite demi-heure.
De cette généalogie, Boulevard de la mort a conservé son aspect artificieusement déglingué et, en partie, sa nature de pastiche. Le directeur de la photo (Tarantino lui-même) utilise les zooms avant brusques, le montage est brutal. Ce qui sied à une histoire de tueur en série qui pourchasse, au volant d'une Ford Mustang noire, de jolies jeunes filles court vêtues.
Mais les deux séquences de poursuite en voiture occupent à peine un quart du film. Le chauffard infernal qu'incarne Kurt Russell s'attaque d'abord à une bande de jeunes filles d'Austin, Texas. Longuement, Tarantino filme avec délectation un après-midi occupé à sillonner la ville, à boire des coups dans les bars, à chercher de l'herbe et surtout à parler - de sexe, d'argent... Le regard porté par l'auteur de Pulp Fiction sur ces nymphes urbaines est à la fois adolescent - gentiment concupiscent - et lucide.
Si bien que, au lieu de penser aux films d'horreur vaguement érotiques d'il y a trente ans, on se retrouve à comparer cette première partie de Boulevard de la mort à Femmes, de Cukor, à ceci près que la sophistication new-yorkaise d'il y a trois quarts de siècle a laissé la place au langage fleuri des teenagers texans d'aujourd'hui.
Mais le genre reprend ses droits, le tueur se met en chasse. Son étape suivante le mène dans le Tennessee, où il s'attaque à un autre groupe, qui compte dans ses rangs une cascadeuse professionnelle (Zoe Bell, qui tient son propre rôle). Dans la conversation préliminaire à l'intervention du monstre, il est cette fois beaucoup question du cinéma et de son effet sur la vie sexuelle des petits employés de cet art.
Le contraste est assez plaisant entre le naturel des situations et la brutalité presque enfantine de la mise en scène. On sent que Tarantino approche de sujets intimes, qu'il flirte avec une matière autobiographique. Mais, pour protéger sa pudeur virile, il finit par recourir à l'arme absolue - une poursuite en voiture spectaculaire, garantie sans effets spéciaux numériques, qui permettent à ce film claudiquant mais attachant de se terminer sur une violente poussée d'adrénaline.
Thomas Sotinel
Boulevard de la mort
de Quentin Tarantino
Film américain.
Avec Kurt Russell, Rosario Dawson, Sidney Poitier. (1 h 55.) Sortie le 6 juin.